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Isabelle Uski et Muriel Guigou

Entretien complet : Isabelle Uski et Muriel Guigou

Par Fabienne Juchat22 février 2025
entretien Isabelle Uski et Muriel Guigou
Enjeux d'ego - Réalisé par Vanessa Lysakoune

« En fait on fait de l’improvisation tout le temps ! On vit ! Ou, on erre toujours un peu quand-même ! C’est possible d’improviser avec un arbre. », Isabelle Uski

« L’improvisation correspond à un état particulier : une présence à soi-même, une grande acuité des sens qui permet une ouverture à l’espace et aux autres comme un vrai terrain de jeu, comme une partition inspirante. », Muriel Guigou

L’improvisation : une danse entre mots et gestes

Isabelle Uski :

Je crois que le rapport aux mots me fait peur dans ce que ça peut figer, notamment là tu vois on m’enregistre, il y a quelque chose qui laisse une trace un peu arrêtée, de quelque chose qui est en mouvement et du coup j’ai besoin de me poser… peut être que je vais rouvrir les yeux, toi tu les as rouverts ?

Muriel Guigou :

Je les ai rouverts et refermés, j’ai changé de position ! (rires) Alors pour toi, l’improvisation c’est en dehors des mots, ça ne passe pas par les mots ?

Isabelle Uski :

L’improvisation peut passer par les mots quand ils y sont en jeu…on peut en effet utiliser la parole mais l’improvisation en mouvement, elle, ne passe pas par des mots, encore qu’elle le peut. Pourtant les outils sont nommés par des mots, donc ces outils passent par des mots !

Muriel Guigou :

Les outils ? Tu veux dire les techniques de l’improvisation ?

Isabelle Uski :

Oui les outils d’improvisation ont besoin d’être nommés, les mots permettent de clarifier, d’aller plus loin, de pousser l’expérience, d’ouvrir la sensation, l’enseignement aussi… mais quand j’improvise je ne pense pas passer par les mots !

Muriel Guigou :

Tu crois ? Tu penses passer par quel autre canal ? Par quoi ça passe ?

Isabelle Uski :

Par des attentions qui se posent quelque part !

Muriel Guigou :

Attentions visuelles ou sonores ?

Isabelle Uski :

Les attentions, c’est un très vaste sujet ! Cela peut être des attentions kinesthésiques, des attentions qui concernent soit le corps, l’environnement, le rapport du corps à l’environnement… qui portent sur le rapport à l’espace, au temps, aux autres… mais quand je dis que ça passe par les mots, en fait c’est une question ! Je pense que parfois ça passe par les mots mais parfois ce n’est pas le cas. En tous cas je me pose la question de savoir si c’est le moment de la décision où l’attention se pose lorsque ça passe par les mots, et si simplement les mots permettent de clarifier et de nommer quelque chose, je ne sais pas si ça fait sens !

Muriel Guigou :

Clarifier ou nommer quelque chose ?

Isabelle Uski :

Par exemple, si une attention change ou si un désir arrive d’actions plus volontaires, plutôt que de laisser faire ce qui est déjà là… c’est quelque chose qui est encore trouble et je me pose la question « est-ce que ça passe par les mots ? », « est-ce que j’ai décidé et c’est passé par ma pensée ? »  ou « est-ce que mon corps a déjà décidé de faire quelque chose que ma pensée vient formuler ? ».

Muriel Guigou :

Oui, alors ce ne serait que dans ces moments-là où tu rebasculerais sur les mots ?

Isabelle Uski :

Je ne sais pas si c’est seulement dans ces moments-là, mais c’est un des moments qui m’intéressent parce que c’est aussi en rapport à ce qui se passe dans la vie. Sur le moment de la décision par exemple, quand est-ce qu’on décide de quelque chose ?

Fabienne Martin-Juchat :

Oui, très intéressant, tu peux le développer un peu ?

Isabelle Uski :

Les décisions qu’on prend dans sa vie en général, est-ce que c’est quelque chose qu’on constate et qu’on a besoin de nommer pour constater mais qui en fait est déjà là dans le corps, ou est-ce que c’est quelque chose qui passe d’abord par la pensée et que l’on met en action ? Enfin d‘où émerge la décision ?

Muriel Guigou :

Est-ce que ce serait un choix rationnel ou plutôt quelque chose qui serait présent au niveau des sensations ? Est-ce que ce serait comme deux notions dissociables : les choix qui passeraient par les mots formulés et ceux qui seraient davantage liés aux sensations ?

Fabienne Martin-Juchat :

Oui entre autres par la pratique de l’improvisation. Est-ce que tu as réussi à développer cette attention où tu es consciente que par moment c’est vraiment une impulsion corporelle qui t’appelle ou bien un sentiment ou une intention d’aller volontairement dans le déplacement… est-ce que tu arrives à identifier l’impulsion ?…à distinguer les différentes formes d’impulsion entre celles qui seraient vraiment somatiques et celles qui seraient plutôt de l’ordre d’une décision consciente ? Comme de se dire « tiens voilà là je me tourne, je vais danser avec telle personne et c’est à ce moment-là conscient… ».

Isabelle Uski :

En fait c’est presque plus complexe que ça dans le sens où j’ai une mémoire… parfois le corps décide et je n’ai même pas besoin de passer par la pensée, seulement besoin d’observer ce que je suis en train de faire mais je n’ai même pas besoin de le nommer… ça se fait ! Quelque chose qui ne passe plus du tout par le langage, qui est complètement dans la sensation, dans le plaisir, dans le laisser-faire, et puis il y a des moments où la pensée réapparait et ce qui m’intéresse c’est la question est-ce que la pensée permet juste de nommer des désirs qui sont déjà exprimés par le corps lui-même donc par la sensation ? Vient-elle seulement par-dessus les nommer ? Ou est-ce que parce que je nomme je viens vraiment impacter le corps… ça c’est une question qui m’intéresse parce qu’effectivement dans la vie, c’est une question qui se pose : comment prend-on des décisions ? Comment les organise-t-on ? Comment improvise-t-on notre vie ? Et il y a quelqu’un qui m’a dit une fois « Toutes les grandes décisions que tu as prises, tu les as prises bien avant les avoir nommées », j’ai trouvé ça assez juste, c’est comme si ma pensée n’était pas du tout consciente de quelque chose qui était déjà en place, mais que le corps déjà lui le savait et mettait tout en œuvre pour faire les choses alors que ce n’était pas encore arrivé à la conscience. En improvisation c’est quelque chose qui me pose question « est-ce que… est-ce que…? »… alors il y a des moments où je ne suis pas dans le laisser-faire, je ne suis pas dans l’improvisation ou peut être que je suis dans des gaps ou des choses comme ça et dans ces moments-là je me raccroche clairement à des outils, j’ai clairement le choix, je vais clairement étudier les choix que j’ai…ce qui ne revient pas à me déconnecter mais je vais remonter par le processus mental pour observer ce qui est possible… mais parfois c’est une question où on joue à faire le deuxième choix, à prendre le deuxième possible ou le troisième possible ! Et puis, il y a aussi toute une manière d’étudier les choix qui ne consiste pas en un processus mental. C’est quand l’instant choisit pour moi. C’est dans ces moments-là que je me fais surprendre, quand je vais vraiment écouter ce qui vient et que je me vois opérer des choix sans que je ne sois en train de les décider !

Muriel Guigou :

Oui il y a un grand plaisir ! Et pour comparer la vie et le temps d’improvisation, la vie concerne des choses… qui n’arrivent pas dans le même temps ! Et oui, dans la vie il y a des choses qui étaient présentes dans le corps… et finalement ça devient un choix… cela peut prendre plusieurs années alors que dans l’improvisation on est quand même sur des temps qui peuvent se compter en heures, est-ce que le processus peut être le même ?

Isabelle Uski :

Non c’est forcément différent parce que ce n’est pas le même temps, ni le même cadre, ni les mêmes enjeux… et en même temps je pense qu’il y a quand même un gros parallèle !

Fabienne Martin-Juchat :

Mais finalement est-ce que l’improvisation c’est quand le corps dicte à un moment donné… ?

Isabelle Uski :

Oui, ça fait partie d’un des outils de l’improvisation !… en tous cas je pense que c’est un des outils majeurs de l’improvisation que de prendre le temps d’être profondément à l’écoute, de quelque chose je dirais presque qui est plus grand que toi… de se laisser traverser… ça c’est pour moi un des outils les plus complexes et qui fait partie de la pratique vraiment la plus subtile ! Mais après tu as pleins d’outils pour pouvoir varier, ouvrir tes possibles dans ce champ-là, dans cette subtilité-là, tu as besoin d’aller décortiquer, d’aller ouvrir des portes, te dire « tiens c’est possible comme ça, ou comme ça, ou encore autrement » et d’étaler une forme de boîte à outils avec des choses beaucoup plus pragmatiques, c’est le genre de choses qu’on va traverser notamment en ateliers, de manière de pratique seule, ou ensemble… !

Muriel Guigou :

Oui c’est un vrai travail !

Isabelle Uski :

Oui mais il y a vraiment des boîtes à outils et puis il y a l’état ! Et pour ouvrir les possibilités de voyage qui vont s’ouvrir dans cet état-là, tu as besoin de travailler les outils et tu as besoin de travailler les états, pour moi c’est cette disponibilité et cette ouverture !

Muriel Guigou :

Et la notion de présence, tu en penses quoi ? On dit souvent que ce qui important c’est la présence !

Isabelle Uski :

Oui quand je fais référence à l’état c’est ça ! La présence, c’est délicat à décrire !

Muriel Guigou :

Cette notion de présence, je trouve qu’elle peut expliquer beaucoup de choses… C’est une notion qui est intéressante, même si certains ne considèrent pas qu’elle est essentielle en improvisation, d’où ma question. Comment pourrait-on la définir ? Sachant que pour moi, je peux donner déjà ce que j’entends par cette notion, ce serait une présence à soi-même, donc se trouver à l’écoute de ses sensations, de son envie du moment… Et en même temps une ouverture à l’espace comme un vrai terrain de jeu, comme une partition, on peut l’appeler comme on veut ! Et c’est cette grande ouverture à soi-même, à ses sensations qui fait qu’on est aussi complètement ouvert à l’extérieur ! Tu sais quand tu disais « traversé » ?

Isabelle Uski :

Oui !

Muriel Guigou :

Cet espèce de… comment dire?… où des fois quand tu es dans la nature et que tu as l’impression que tu es plus toi-même car tu fais partie d’un tout. Ce sont des choses assez simples ! Il n’y a pas de séparation entre soi-même et l’environnement et tout se fait de manière assez naturelle car on est en dehors de la pensée ! Une sensation de toute puissance aussi, de pouvoir et de liberté, moi je ressens ça et ce n’est pas dans toutes les improvisations que j’y arrive ! Car il y a des jours où ça ne démarre pas ou alors ça le fait à un moment puis ça va passer et puis des fois où dès le début ça part et cet état-là est là et c’est naturel et … voilà ça coule de source, c’est très fluide ! Je ne sais pas ce qui fait que parfois cet état-là survient et des fois non !

Isabelle Uski :

Moi je parle plus d’état que de présence mais je pense que tu peux pratiquer différents types d’état et différents types de présence, selon tes pratiques, je ne voudrais pas dire de bêtise parce que je ne l’ai pas plus traversé que ça mais en théâtre tu vas traverser des états de présence qui ne sont pas les mêmes… par exemple en mouvement authentique, une des pratiques qui m’influencent pour trouver vraiment cet état-là dont on est en train d’essayer de parler…

Fabienne Martin-Juchat :

Oui d’ailleurs on pourrait se poser la question de quelle est la différence entre mouvement authentique et improvisation ? Tu faisais du mouvement authentique à plusieurs ?

Isabelle Uski :

Le mouvement authentique c’est un protocole donc ce n’est pas un cadre d’improvisation, de performances, c’est un protocole très spécifique… ça vient travailler sur plusieurs niveaux, sur un état de disponibilité au mouvement, sur une capacité à mettre de la parole sur une mémoire de cet état de mouvement et aussi sur une forme de confrontation de deux expériences, de deux points de vue, ceux du témoin et du bougeur, qui sont à la fois en lien et en même profondément distincts… et du coup ça vient jouer de pleins de choses qu’on peut réutiliser dans l’improvisation. Mais tout dépend ce que tu entends par improvisation car ce mot là il est vaste, tu parles de quoi ? De l’improvisation dansée, de l’improvisation artistique, de l’improvisation vraiment de composition, instantanée, tu parles d’improvisation dans la vie…? et là effectivement le champ est vaste ! J’ai envie de danser ! (rires)

Muriel Guigou :

Pourquoi as-tu envie de danser ? D’en parler ça te donne envie… ?

Isabelle Uski :

Et oui ça me donne envie de me mettre en mouvement…En fait on fait de l’improvisation tout le temps ! On vit !

Muriel Guigou :

Oui mais d’accord tu es bien d’accord que c’est différent quand même, une improvisation-performance avec un public, une improvisation en jam session ce n’est quand même pas pareil ! Tu as un regard donc forcément ça va influencer ton improvisation ! Il y a ça je pense et après il y a l’improvisation seule et en groupe, et pour moi ce sont deux choses très différentes. Forcément en groupe il va y avoir des interactions… toi tu fais des improvisations avec un musicien ?

Isabelle Uski :

En fait je ne suis pas sûre de comprendre la question parce que pour moi c’est assez similaire en fait, il s’agit juste d’écouter…

Muriel Guigou :

Mais si tu es seule ? Tu écoutes quoi, tu écoutes juste toi, l’environnement ?

Isabelle Uski :

Si je suis seule je vais produire moins d’informations à traiter !

Muriel Guigou :

Ce n’est pas n’importe quelles informations quand même, c’est de l’interaction avec d’autres humains, ce n’est pas comme interagir avec un espace ou avec la nature…

Isabelle Uski :

En fait le solo a ses particularités, le duo et le trio les leurs… mais finalement c’est assez similaire, ce qui est différent c’est que plus on est nombreux, plus il va y avoir une masse d’informations qui arrive et avec laquelle on va interagir… donc quand je suis seule, j’interagis avec l’environnement et l’information que je suis en train de produire concerne le changement que j’amène pour ma part dans l’environnement par rapport à mon propre mouvement. Mais s’il y a une autre personne, elle amène une masse d’informations par son mouvement et il y a une autre relation qui engendre quelque chose d’exponentiel en termes d’informations !

Muriel Guigou :

Mais ce n’est pas seulement quantitatif, lorsque tu interagis avec un arbre et avec un humain c’est quand même différent, non ?

Fabienne Martin-Juchat :

C’est intéressant ce que vous dites parce que j’ai souvent entendu dans les discours de pédagogues de l’improvisation dire qu’on pouvait considérer l’autre comme une chose c’est-à-dire le dé-personnifier… et d’ailleurs quand on débute dans l’improvisation on est souvent gêné par le fait qu’on est face à quelqu’un en tant que personne !

Muriel Guigou :

…Réapparaissent alors tous les codes sociaux !

Fabienne Martin-Juchat :

…Voilà c’est ça ! Tu te trouves face à un homme, une femme etc. J’avoue qu’à ce propos j’apprécie quand d’un seul coup dans une danse de contact improvisation je ne pourrais même plus dire quel est le prénom de la personne avec qui je danse, car ce n’est plus là que ça se passe, c’est-à-dire il y a quelque chose qui se met en place qui est de l’ordre de la sensation, de la rencontre de corps, de la matière vivante…cet état m’intéresse aussi beaucoup. Donc est-ce que c’est ce que tu dis ? Est-ce que finalement de traiter les informations humaines comme des informations neutres cela revient à cela ?…

Isabelle Uski :

En tous cas, dans l’improvisation avec quelqu’un, il y a un endroit où je ne vais pas m’intéresser à la personne, avec son identité sociale, son nom, son statut parce qu’alors là c’est fichu ! Enfin tu montes complètement dans la tête…

Muriel Guigou :

Ça te bloque complètement !

Isabelle Uski :

Dans cet état particulier qu’on peut rechercher dans l’improvisation, oui c’est possible d’improviser avec un arbre… car il va me faire des propositions qui sont moins complexes, qui sont plus faciles à traiter mais je peux réellement avoir une danse avec un arbre comme je pourrais l’avoir avec quelqu’un, oui absolument ! Après la différence c’est peut-être ce qui va en rester… enfin je ne sais pas… je vais peut-être avoir une complicité avec une personne suite à l’improvisation qui est un peu différente de la complicité que je peux avoir un arbre … Même si je peux avoir une complicité avec un arbre après avoir dansé avec lui.

Muriel Guigou :

Oui bien sûr mais je ne parlais pas de cela ! Prenons une improvisation plutôt seule et puis après en groupe… dans les impros, moi j’ai tout le temps improvisé seule et en groupe même si on ne s’attarde pas sur le statut des partenaires… Bien que ce soit parfois difficile de s’en extraire, si on essaie quand même de sortir des codes sociaux dans les improvisations en groupe, moi en fin de compte c’est avec des humains que je danse… ou avec des choses qui ressemblent aux humains ! Il y a pleins d’improvisations comme ça où des choses reviennent assez souvent et où se retrouvent dans des sortes de rites, et souvent on se retrouve dans des choses qui font partie de la vie sociale… du coup sûrement qu’on est moins dans cette écoute à soi-même que quand on improvise seul !

Isabelle Uski :

Je pensais à un autre truc qui pour moi est assez fort quand on improvise avec d’autres gens c’est que mine de rien, ce sont des éléments de la nature qui vont faire écho à notre propre élément naturel… ce sont des personnes avec un corps qui ressemble au nôtre, qui va bouger un peu de la même manière et va avoir cette complicité humaine qui a aussi l’accès au langage, l’accès à nommer des outils d’improvisation et à pouvoir du coup jouer de ces mêmes outils et ça, ça change vraiment la donne potentiellement ! Mais après dans l’état d’impro, pour moi ce qui change c’est vraiment la complexité… un des enjeux c’est de voir comment on va gérer cette complexité, est-ce qu’on la simplifie pour jouer ? C’est une des choses que j’aime faire, simplifier ou alors jouer vraiment avec le plein, le chaos, avec la complexité des informations qui arrivent, comment tu vas survivre aussi dans tout ça et comment tu te positionnes dans cette relation à une masse d’informations qui est liée à une masse d’actions volontaires ?… par exemple un des trucs que j’adore faire c’est improviser dans la nature car elle est hyper complexe, elle t’amène énormément d’informations mais il n’y a pas cette idée d’actions volontaires qui émergeraient, juste ce laisser-faire et quelque part c’est aussi quelque chose qu’on va chercher dans l’improvisation donc… les trucs les plus simples dans la complexité de la nature, c’est qu’il n’y a pas l’enjeu de l’ego…

Réalisé par Méryl Bougo

Muriel Guigou :

Dans les éléments avec lesquels tu danses, il y a juste ton ego à toi ?

Isabelle Uski :

Oui mais qui va du coup être invité à se relâcher…

Fabienne Martin-Juchat :

Parce que dans la relation interpersonnelle, il y un enjeu d’égo ?

Isabelle Uski :

Il y a forcément des enjeux d’ego…

Fabienne Martin-Juchat :

Et Comment se manifestent ces enjeux ? Tu les perçois comment ?

Isabelle Uski :

Je ne sais pas si ego c’est le bon mot… quand on improvise souvent il peut y avoir des peurs, en tous cas souvent ça m’arrive d’organiser, avant de se lancer dans l’improvisation par le mouvement, des cercles de paroles où chacun va exprimer ses peurs ou ses désirs… pour moi ils sont liés… notamment les peurs, plus les peurs que les désirs, en tous cas il y a des peurs de pas être à la hauteur, de se tromper, de se faire mal, de se faire jeter enfin tout ça ne relève pas des ego… même si ça ça peut exister, j’ai envie d’exister dans la danse, j’ai envie de m’affirmer dans la danse… enfin voilà et ça c’est plus ou moins fort, c’est plus ou moins subtil mais enfin l’arbre pour sa part n’est pas dans ça ! Il s’en fout, l’arbre !

Muriel Guigou :

Oui !

Fabienne Martin-Juchat :

Ce que la personne engage dans la danse, donc, c’est trop de sentiments, dans un sens ou dans l’autre, trop d’intentions, d’affirmation de quelque chose, trop ou pas assez quoi…

Isabelle Uski :

Je sais pas si c’est dans la danse… enfin je pense que c’est très culturel, qu’on est dans des sociétés où chacun a besoin de s’affirmer, d’exister, de trouver sa place… j’ai l’impression que ça n’a pas toujours été comme ça, que ce n’est pas partout comme ça et qu’il y a des gens qui vivent leur vie… j’ai croisé des gens dans des villages, qui passaient leur journée dans les rizières et qui se prenaient pas la tête à se dire comment je vais me réaliser… je suis pas sociologue, mais c’est un enjeu assez occidental de s’affirmer !

Fabienne Martin-Juchat :

Et tu dirais que ces enjeux là… trouver sa place, s’affirmer, ce sont des freins pour trouver ce temps d’improvisation ? Cette problématique d’affirmation… un obstacle à la sensation de liberté par rapport à la sensation d’individualité ? C’est quelque chose d’intéressant dans l’improvisation, la manière dont ça interroge l’affirmation de l’individu ou la liberté. Donc est-ce que l’improvisation conduit à cette disparition de la notion d’individu qui amène une liberté ou l’affirmation d’une forme de soi mais qui est au-delà de l’ego, lequel serait une forme marquée culturellement, typiquement occidentale ?

Muriel Guigou :

C’est difficile de généraliser je pense, tout dépend des gens, des pratiques !

Isabelle Uski :

Oui ça dépend des gens mais aussi des pratiques, par exemple il y a une pratique qui me vient en particulier en tête c’est celle du Tuning Scores de Lisa Nelson, si vraiment tu vas vraiment jusqu’au bout de cette pratique-là, tu deviens un élément interchangeable de la pièce et on ne s’intéresse plus à qui fait quoi, enfin si tu vas jusqu’au bout car ce n’est pas simple d’aller jusqu’au bout de ce truc ! Mais c’était super intéressant quand on l’a fait parce qu’on était très nombreux et ça a généré beaucoup de frustrations, parce que justement il y avait un besoin d’agir sur la pièce collective… il y a pleins de manière de travailler le Tuning Scores mais dans ma manière de le concevoir il est vraiment nécessaire de ne plus se mettre au service d’une affirmation de soi mais plutôt vraiment au service de l’œuvre ! Et ça ne peut fonctionner que comme ça, en se mettant au service de l’œuvre et du coup tu vas faire un appel, et comme on peut être très nombreux, tu as besoin de retenir des envies que tu peux avoir parce qu’on est nombreux à pouvoir faire des appels et qu’à un moment ce qui est intéressant c’est justement comment collectivement on va construire une pièce et comment à un moment donné tu vas avoir le désir de faire un appel qui vient de ce qui est en train de se passer. Plus on est nombreux, plus on va être invités à retenir cet appel et ce qui est super intéressant c’est de voir les appels qui arrivent finalement, de s’y confronter et du coup de faire le deuil de ton propre appel à toi, donc le deuil de ton propre désir. C’est la même chose si tu es en jeu, si tu es en train de faire quelque chose et qu’on te propose un truc… tu ne peux pas continuer ton propre fil… on vient toujours te titiller pour t’amener ailleurs… et c’est pour moi c’est un dispositif qui est vraiment jouissif autant dedans que dehors, si tu te mets à disposition de ce processus collectif et du coup de l’œuvre collective qui en émerge, sinon c’est ultra frustrant, si tu te dis… tu es en train de faire quelque chose, en train de danser quelque chose et puis on vient te couper à ce moment-là ou alors « ah non mais moi je n’avais envie de faire ça » ou alors « mais pourquoi il a fait cet appel » enfin tu vois « moi je n’aurais pas du tout fait comme ça » enfin si tu compares, si tu commences à être dans cet état c’est fichu.

Muriel Guigou :

Je trouve que ce que tu dis est au cœur d’un des processus de l’improvisation en groupe, quand on est conduit à un moment de dire « non là je n’y vais pas parce qu’il y a autre chose qui se fait »… on est permanence aussi en train de dire « non là il y a quelque chose qui se fait… j’ai cette envie là mais okay je le ferai plus tard »… Bon là on est dans les extrêmes !

Isabelle Uski :

C’est super intéressant de travailler ça dans l’extrême ! Tu fais des deuils tout le temps en impro… peut être une des différences entre le solo et une improvisation à 20 personnes c’est qu’à 20 personnes tu fais 10 000 fois plus de deuils qu’en solo parce que tu fais du deuil sur les désirs de ce qui pourrait émerger et il y a sans arrêt des impulsions, des choses qui viennent, que tu arrêtes parce que tu sens que ça va venir saturer… qu’on est déjà passé à autre chose, il y a déjà une proposition qui est arrivée en plus… enfin tu es sans arrêt en train de faire le deuil d’impulsions !

Muriel Guigou :

C’est là qu’on voit je pense qu’il y a certaines personnes qui arrivent peut être plus à moins faire le deuil… peut-être que là on revient sur l’histoire de l’individualité… car tout le monde est différent, dans l’improvisation on voit des personnes qui sont peut-être plus sur leurs propres désirs et qui vont aller faire les choses et d’autres qui sont plus en permanence en train de dire « peut-être là non… ».

 

Isabelle Uski :

Je sais pas si ça dépend seulement des personnes, c’est peut-être aussi le fait des pratiques, des moments… En solo tu es moins conduit à faire des deuils, tu en fais mais moins, en duo tu commences à en faire, en trio tu en fais un peu plus… ça commence déjà à saturer et… après 3 solos c’est aussi une forme de trio n’est-ce pas ?… ce qui importe c’est juste être clair dans ce que tu es. Après, à partir de 4 il y a un nombre qui fait qu’il y a une masse d’informations à traiter qui te conduis à faire beaucoup de deuils, c’est toute une pratique, tout le monde ne peut pas y arriver… enfin ce n’est même pas exactement ça, c’est qu’on va tous pratiquer et puis ça va dépendre des jours, de ton humeur, de ton besoin… et puis c’est subtil parce qu’il y a un moment où au contraire tu te dis « Ne fais pas le deuil, vas-y ». C’est aussi ce qui est intéressant dans le Tuning scores : les appels de l’extérieur qui vont t’inviter à y aller quand ça y est, parce que y aller quand tu es en groupe c’est aussi quelque chose qui se pratique, de prendre la place, de y aller, parce que là il y a quelque chose qui est là, il y a quelque chose qui a la place d’exister et qui peut se développer, qui peut aller plus loin ! C’est aussi la même écoute quelque part, qui consiste à avoir conscience de ce qui est en train de se jouer et ça, ça engage la disponibilité, l’awareness… et c’est complexe, c’est un processus sans fin, il y a des jours où tu n’es pas disponible de la même manière et puis on n’a pas tous la même perception du truc, de ce qui est en jeu dans le tuning scores…

Muriel Guigou :

Quand tu dis c’est une pratique d’expérience, c’est-à-dire de processus dans lequel tu es, tu ne penses pas qu’il reste quand même une individualité, des gens qui sont plus extravertis que d’autres, car enfin on ne met pas non plus complètement de côté notre tempérament dans l’improvisation !

Isabelle Uski :

Oui mais il y a la même écoute c’est-à-dire que dans la pratique, il y a des personnes pour lesquelles on va devoir davantage inhiber les impulsions parce que sinon on irait tout le temps, et puis pour d’autres pour lesquelles au contraire il va falloir y oser y aller ! Alors effectivement tu peux faire des liens avec ta personnalité mais finalement c’est la même écoute… Il y a peut-être des tendances au départ qu’on va chercher à travailler… et c’est bien une des dimensions que j’essaie de faire effectivement en impro, goûter différentes manières d’être et d’agir qui vont nous renseigner sur nous-même et nous inviter à avoir la possibilité de faire autrement ailleurs !

Muriel Guigou :

Et toi dans ta pratique de l’improvisation, étant donné ça fait quand même pas mal de temps que tu pratiques, comment t’es-tu vue évoluer par rapport à tous ces comportements-là, ces manières d’agir ou pas, est-ce qu’il y a une évolution ? Ou comme tu dis ça dépend du moment, de l’humeur, du groupe etc. ou est-ce que réellement il y a quelque chose qui a changé dans ta manière d’improviser ?

Isabelle Uski :

Je pense que ça change tout le temps, ça évolue ! Je sais plus en fait, il y a des moments où j’ai l’impression que c’est un peu comme une langue étrangère, il y a des moments où tu as la sensation d’être beaucoup plus disponible, d’avoir ouvert des portes et puis des moments où l’impression d’être toujours dans tes petits schémas actuels…

Muriel Guigou :

Mais quand même une langue étrangère quand tu l’apprends, si tu la pratiques, tu la pratiques de mieux en mieux !

Isabelle Uski :

il y a quelque chose de cet ordre-là !

Muriel Guigou :

Mais ça serait quoi de pratiquer de mieux en mieux l’improvisation ?

Isabelle Uski :

Avoir de plus en plus de petits tiroirs possibles dans ta boite à outils et puis développer de plus en plus une subtilité d’état ! Et une capacité à avoir conscience de quel type d’état tu peux avoir dans la danse en fait ! Et oui dans la boite à outils avoir la possibilité d’ouvrir des modes de jeux vers lesquels tu n’irais pas spontanément !

Muriel Guigou :

Et pour revenir sur la question de la vie, est-ce que tu penses ça a influencé ta vie, est-ce que pour toi c’est interdépendant ?

Isabelle Uski :

Oui c’est clair, toi aussi ?

Muriel Guigou :

Oui ! (rires) Mais c’est difficile de le nommer exactement, de dire ce que ça a changé concrètement…

Isabelle Uski :

Pour moi ça change les options possibles, enfin il y a cette histoire de boîte à outils et d’état de disponibilité, de conscience… j’ai l’impression d’être plus consciente de là où je suis et du coup d’avoir plus la possibilité d’ouvrir des portes, que ce soit dans mon quotidien, je me ballade dans la rue et voilà, je sais que je suis à fond dans ma pensée, ou que je ne suis pas bien, ou que je suis bien ou que je suis en train de regarder le paysage ou que je suis complètement à l’extérieur !

Muriel Guigou :

Tu es consciente de tes propres états ?

Isabelle Uski :

Voilà, ça peut être ça ou alors ça peut être des trucs très précis dans le boulot lorsque je me dis « … enfin il se passe ça et là je suis dans cet état-là par rapport à ça… » il y a quelque chose d’apaisant en tous cas de manière générale, dans le sens qu’en improvisation tu ne peux pas te tromper alors il n’y a pas tant d’enjeux, tout est possible !

Muriel Guigou :

Dans la vie ce n’est pas tout à fait pareil !

Isabelle Uski :

Alors dans la vie… c’est difficile d’arriver à ce plaisir là mais il y a quelque chose ici qui revient à ça !

Muriel Guigou :

Une légèreté !

Isabelle Uski :

Oui mais ce n’est pas qu’en pratiquant l’improvisation qu’on arrive à ça … pour moi c’est aussi une influence de pratiques méditatives comme le mouvement authentique ou la méditation zen, c’est évident ! Ces pratiques influencent beaucoup d’improvisateurs, elles sont en lien parce que justement il y a cette ouverture, cet accueil, cette mindfullness…

Fabienne Martin-Juchat :

Mais cette idée qu’on n’a pas spécialement entendue dans les autres entretiens, celle du deuil, nous place devant une tension… Car on pourrait dire qu’en improvisation la question du choix ne se pose pas puisqu’on est dans un état où le choix devient automatiquement une évidence. Je trouve qu’il y a presque un paradoxe entre d’une part le fait qu’à un moment donné tu as différentes possibilités liées à toutes les informations dont tu disposes, d’où la possibilité du choix, et de l’autre, selon une idée qui a été énoncée dans les autres entretiens : le fait que justement l’improvisation implique que la question ne se pose même pas, c’est-à-dire que la décision qu’on prend s’impose comme une évidence. Par conséquent, la question du deuil ne se poserait même pas puisque c’est la meilleure solution, la meilleure piste à l’instant « T » en fait !  Est-ce que tu peux revenir sur cette tension ?

Isabelle Uski :

Pour moi ce n’est pas contradictoire, parce que si vraiment tu fais un deuil, c’est que tu dis non à quelque chose et que tu accueilles ce qui est là. Donc si tu sais faire le deuil, tu es complètement dans l’accueil de ce qui est là ! Alors pour moi ce n’est pas du tout en opposition, et c’est particulièrement flagrant quand tu parlais de ce qui se passe en groupe, avec ces choses qui peuvent vraiment venir arrêter, contrer, contraindre quelque chose… dans lequel tu étais engagé en tant qu’improvisateur ou dans lequel tu étais engagé dans le regard ! Et c’est particulièrement flagrant encore une fois dans le Tuning Score parce qu’il y a ces histoires d’appels, donc ça vient t’affecter de manière très directe et très injonctive…

Thierry Ménissier :

Mais qu’est-ce que métaphorise le deuil ? Ce n’est quand même pas rien de faire son deuil…

Isabelle Uski :

Je dirais que tu commences quelque chose, en impro par exemple, tu développes je ne sais quoi et quelque chose vient le contrer, tu pourrais avoir le désir de développer cette chose-là, peut-être que c’est possible donc tu peux y aller…alors faire le deuil c’est accepter l’information supplémentaire, celle qui est en train d’arriver, tandis que tu continues ta chose ! Mais si ça te contraint suffisamment et que tu sens que non ce n’est pas juste, tu arrêtes quelque chose, tu changes de direction…

Fabienne Martin-Juchat :

Mais ça ce n’est pas lié au choix tout simplement, plus que le deuil ? Est-ce que c’est pas inhérent à tout choix ?

Isabelle Uski :

Mais dans un choix il y a forcément un deuil !

Réalisé par Méryl Bougo

Thierry Ménissier :

Le deuil implique un rapport à la mort…

Isabelle Uski :

C’est vrai que c’est une petite mort ! Un choix c’est une petite mort car c’est la disparition d’un désir…

Fabienne Martin-Juchat :

D’un potentiel ?

Isabelle Uski :

D’un potentiel, de quelque chose qui existait oui !

Fabienne Martin-Juchat :

C’est intéressant car ça signifie l’idée que la pratique de l’improvisation revient finalement à accepter des petites morts…

Thierry Ménissier :

…et que danser, c’est mourir un peu ! (rires)

Isabelle Uski :

Mais du coup c’est d’autant plus vivre, parce que justement on peut parler de mort…Si tu accueilles vraiment l’idée que tu es mortel, tu accueilles d’autant plus ton vivant !

Fabienne Martin-Juchat :

Je pense que c’est très juste parce que l’improvisation passe par l’étape de ne pas avoir peur de la mort, c’est-à-dire qu’on ne peut pas s’accrocher à des règles extérieures trop fortes, improviser c’est accepter à un moment donné en effet que la question de la vie ou de la mort n’est pas un problème et justement je pense que c’est la grande différence entre improvisation et adaptation. La différence se joue entre le fait d’adhérer à une forme extérieure qui te fournit des indications, des placements de choix, une forme, un système social etc., c’est beaucoup plus rassurant qu’une situation d’improvisation où tu es quand même confronté en effet à une forme de relation à la mort.

Isabelle Uski :

Tu compares avec quoi, avec une forme sociale ?

Fabienne Martin-Juchat :

Oui même dans la vie de tous les jours il y a des rythmes, par exemple prenons le cas des rythmes de repas ou des rythmes de sommeil qui sont en fait des mouvements imposés extérieurs, des règles sociales, comme aussi dans le travail. Au contraire, dans la pratique de l’improvisation tu fais l’expérience de la nécessité de faire des choix qui impliquent des formes de renoncement, et c’est beaucoup plus inconfortable que quand tu acceptes une planification extérieure en regard de formes sociales qui t’imposent un certain type de rythmes.

Muriel Guigou :

Pour ma part, il y a le mot d’impermanence qui me venait. Dans l’’improvisation, tu es dans l’instant présent et il est fini… c’est pourquoi il y a cette idée d’impermanence et c’est effectivement l’idée de la mort aussi… il n’y a rien de permanent, tout est impermanent quand on est dans l’instant présent et ce qui se passe maintenant, ça y est, on peut peut-être déjà faire le deuil de la phrase qu’on a dit avant ! Et c’est ça l’improvisation, être dans cet instant présent…

Isabelle Uski :

Oui, ça me parle… enfin je ne suis pas sûre que ce soit si différent que ça parce que dans la vie du quotidien tu as des cadres à l’intérieur desquels tu improvises…certes, ils sont plus ou moins stricts mais tu as toujours du jeu. Et dans un canevas d’improvisation ou dans une chorégraphie dite écrite c’est pareil, tu as un canevas qui est plus ou moins resserré mais dans lequel tu as encore du jeu, parce que si tu étais juste dans une exécution où tu ne passais plus par la sensation au moment présent, ce ne serait pas possible…

Muriel Guigou :

Oui mais c’est une question de degré, il y a quand même moins d’improvisation…

Isabelle Uski :

Il y a moins d’improvisation mais en tous cas, quand tu parles du cadre du quotidien, tu improvises tout le temps, tu as tout le temps des décisions à prendre !

Fabienne Martin-Juchat :

Mais justement est-ce que, dans ce cas, on ne peut pas plutôt parler d’adaptation que d’improvisation ? Les choix d’adaptation c’est quand tu composes avec un système…

Muriel Guigou :

Quel est l’intérêt de distinguer ces deux termes ? J’essaie de voir… adaptation, c’est très fonctionnel, comme s’il y avait quelque chose de cadré, tandis que l’improvisation serait la liberté etc. je crois que c’est peut-être un peu trop caricatural !

Isabelle Uski :

Dans adaptation pour ma part j’entends le cadre qui est très imposant et quelque chose de très conciliant de la part de la personne qui s’adapte, elle s’adapte au cadre et pour moi c’est différent d’improviser à l’intérieur du cadre et s’y adapter. Il y a quelque chose qui ne sonne pas de la même manière… Dans improviser, il reste plus de liberté !

Muriel Guigou :

Improviser c’est le contraire du cadre. S’adapter, tu te fonds, tu te moules dans le cadre…

Isabelle Uski :

En fait, je pense que tu peux même respecter le cadre en improvisant et en ayant beaucoup de liberté !

Tu peux l’envoyer balader mais même si tu respectes le cadre, pour moi il y a un jeu de liberté, il y a une notion de liberté dans improviser que je ne retrouve pas dans s’adapter. Dans l’adaptation, j’ai l’impression qu’il y a une solution…

Muriel Guigou :

Oui c’est bien ce que je veux dire moi aussi : dans l’improvisation il y a plusieurs possibilités dont celle de rejeter, tandis que s’adapter c’est le faire en rapport à une situation donnée, donc tu n’as pas ces aspects de rejet ou de remise en cause.

Isabelle Uski :

C’est surtout la question du choix, de liberté : on a l’impression qu’il n’y a qu’une chose qu’on pourrait faire ! On pose un cadre et puis on se résout à se mettre dedans », donc il y a une possibilité. Enfin ça risque de tuer le désir, et je ne sais il n’y a pas la notion de jeu dans s’adapter !

Muriel Guigou :

Il n’y a ni désir ni plaisir !

Fabienne Martin-Juchat :

Voilà une question qui nous importe énormément : est-ce qu’au niveau politique aujourd’hui, dans la structure sociale, on peut développer des régimes d’improvisation ou est-ce qu’on est simplement dans des régimes d’adaptation ?

Cela revient à poser la question des espaces de créativité, de liberté, justement qu’on peut créer dans des espaces et des systèmes qui sont assez contraints, comme devoir aller faire des courses, devoir prendre le tram, devoir prendre ton vélo… on est dans des vies qui sont particulièrement régulées, étant par exemple dans des espaces urbains ! Pour suivre des chemins de circulation, jusqu’où peut-on improviser ? La question se pose de savoir quel espace de créativité et de liberté on peut disposer dans nos systèmes sociaux qui sont de l’ordre de la régulation et par suite de l’adaptation… Bien sûr je force exprès le trait…Mais quand tu es venue sur ton vélo nous retrouver, est-ce que tu as improvisé pour arriver jusqu’ici ?

Isabelle Uski :

J’ai tendance à chanter sur mon vélo donc oui ! (Rires)

Fabienne Martin-Juchat :

A chanter, à pleurer, à faire des zigzags, à aller vite !

Isabelle Uski :

J’ai improvisé sûrement dans ce qui m’est passé par la tête, dans ce que j’ai perçu, dans la manière de goûter le chemin… dans la manière de pas glisser sur la petite plaque de verglas, de faire un petit aller-retour, savoir quel moment je vais décider que quand même je pense que je suis perdue donc il faut que j’enlève mes 4 000 couches de gants pour accéder à mon portable qui est dans mon sac… et oui j’ai improvisé, oui il y a une forme d’improvisation ! En fait ça pose aussi la question de la routine, qu’on retrouve en improvisation ! Comment quand tu fais des gestes au quotidien, que tu les refais à l’identique et qu’ils perdent en saveur et en goût parce que tu es dans le moment présent, tu es juste dans une espèce d’exécution automatique du truc, c’est pareil en improvisation, notamment en danse contact, lorsque tu vas aller dans ton petit chemin habituel et hop se déporter par là… enfin notamment si tu es dans une physicalité avec juste une exécution…

Fabienne Martin-Juchat :

C’est assez… technique !

Isabelle Uski :

Je ne sais pas si c’est technique, j’ai un peu peur du mot technique parce que pour moi trouver des états de présence et des états de conscience c’est une technique donc je ne sais pas… ça dépend de quelle technique on parle mais en tous cas tu peux être dans une danse sans être dans une recherche de la subtilité, de la saveur…

Fabienne Martin-Juchat :

C’est des questions que je me pose… d’une manière un peu provocante je dirais que pour improviser, il faut suffisamment d’inconnu et de surprises qui viennent de l’extérieur ! C’est-à-dire que ça dépend de ce que le système te permet ou te propose, c’est-à-dire que plus tu as une richesse informationnelle que tu ne prévois pas nécessairement, plus tu pourras improviser… Tu vas sans doute dire que finalement il y a toujours une richesse informationnelle qui permet finalement de trouver des espaces…pour moi ça renvoie à la question politique, car cela revient à se demander : qu’est-ce qui peut permettre aux individus d’improviser dans un système ? Peut-être que même dans une prison, lorsque tu es dans ta cage et malgré le fait que tu es enfermé, tu pourrais me répondre « je peux improviser », car certes dans mon espace clos je suis emprisonné, dans mes murs mais j’aurais toujours des espaces de liberté…

Isabelle Uski :

Il y a différentes choses-là pour moi dans ce que tu dis parce qu’effectivement, quand tu dis « j’ai besoin d’informations extérieures » personnellement je ne suis pas d’accord ! Moi j’aurais plutôt tendance à dire que c’est surtout une disponibilité de ton toi intérieur qui te permet d’improviser mais alors ça pose la question de la saveur et de la poésie… et pour moi elle se pose une fois que tes besoins vitaux sont satisfaits… Tu as besoin de satisfaire tes besoins vitaux ! Si en prison tu as froid et tu faim, je ne suis pas sûre que tu es dans un état de disponibilité surtout si tu es mal traité… la prison n’est pas forcément le contexte idéal où tu vas trouver saveur et poésie !

Muriel Guigou :

Mais ça dépend parce que, saveur et poésie, ce sont quand même deux notions importantes, on n’en a pas trop parlé jusque maintenant, pour toi c’est réellement lié à l’improvisation ? Quelqu’un qui se trouve en grande difficulté sociale, peut-être que justement il va devoir improviser pour sa vie mais on n’est pas dans le même type d’improvisation. Il faut peut-être séparer l’improvisation artistique de l’improvisation dans la vie qui recouvre aussi des stratégies pour s’en sortir… c’est une définition de l’improvisation qui n’est pas la même. Car dans ce second cas, improviser c’est faire preuve d’imagination pour se sortir d’une impasse, ce qui n’est pas du tout l’improvisation qu’on pratique ensemble qui elle est plutôt de l’ordre de la poésie !

Isabelle Uski :

Ce sont différentes couches en fait. Dans l’improvisation tu vas au-delà des possibles, il y a cette idée d’ouvrir les choix, donc d’ouvrir la possibilité de faire des deuils, d’ouvrir des nouveaux chemins possiblement, et là ça rejoint ton histoire d’imaginaire pour pouvoir trouver d’autres pistes… qu’on peut trouver dans la vie et puis après il y a la question du plaisir, de la saveur au quotidien oui c’est vrai on n’en a pas parlé mais c’est énorme ! Quand tu me demandes « est-ce que ça a impacté sur ma vie ? » oui ça a impacté effectivement sur mon quotidien !

Muriel Guigou :

Oui comme les pratiques de la méditation, celles de la contemplation en fait pour moi, car pour moi c’est très lié… je pense qu’à la base je suis aussi plus contemplative mais toutes ces pratiques-là ont pris de l’importance dans ma vie courante et l’improvisation a souvent participé à ce processus. C’est devenu vital et important… Ce qui est important aussi c’est de prendre le temps, improviser c’est prendre le temps !… Le temps de voir dans quel état je suis, qu’est-ce qu’il se passe et après peut être qu’on peut passer à l’action ! Il y a d’autres pratiques aussi corporelles, comme celle du mouvement authentique, être à l’écoute de ses propres désirs, de ses sensations, leur laisser une place…

Isabelle Uski :

Moi je dirais qu’il faut prendre le temps, oui forcément mais il y a aussi je dirais le goût du jeu et de l’expérimentation, en plus du goût et de la saveur il y a jouer, expérimenter, oser !

Muriel Guigou :

Oui aussi oser !

Isabelle Uski :

Oser ne pas faire… enfin… broder à partir de juste une matière et d’expérimenter ! Ça oui !

Muriel Guigou :

Non puis aussi oser en jam session, enfin on est en permanence en train de se dire… même si ce n’est pas si pensé que ça…aller dans une interaction, danser, quitter cette interaction faire que ça se passe bien, oser dire non… enfin toutes ces choses-là sont dans l’improvisation. Je pense ça m’a aidé dans ma vie, ça m’a construit dans ma vie…Mais pour entrer en relation, en interaction… entrer en relation et quitter une relation c’est compliqué ! Quoi je trouve c’est un moment un petit peu fragile dans l’interaction, après dans la vie ça se passe et donc je trouve que l’improvisation en groupe permet de tester ça, de l’expérimenter et de dédramatiser ! Mais la question que je me posais c’est est-ce que ça m’aide vraiment à faire des choix dans ma vie ? Parce que dans la vie, il y a quand même des impacts plus importants ! Je pense que moi qui n’ai pas une grande légèreté, en pratiquant la danse contact, j’ai pris la légèreté de faire des choix…

Isabelle Uski :

Oui, du coup on revient à la facilité à faire des deuils, pour moi la légèreté vient de ça, justement de cette question ! Le souci pour moi c’est le choix qui est lourd, celui où tu choisis mais en fait tu t’accroches encore au truc auquel tu as dit non… tu as choisi cette option mais en fait tu aurais bien aimé suivre l’autre, alors un coup tu fais ci, un coup ça…mais c’est lourd ! Et ça devient infernal, si tu fais pas de vrais deuil dans un choix… ton choix est lourd !

Muriel Guigou :

Oui mais dans le choix il n’y a pas que le deuil ! Il y a aussi quand même, puisque tu vis avec des gens, des conséquences sur les gens avec lesquels tu vis. Il n’y a pas que ton propre deuil quand même…

Isabelle Uski :

Oui mais si tu arrives à faire le deuil de ce à quoi tu dis non, c’est beaucoup plus léger… en ce qui me concerne l’improvisation et encore une fois les pratiques annexes m’ont invitée à faire des choix qui sont légers parce que ce sont des choix pleins, non des faux choix, je ne sais pas comment on dit ça, des choix non assumés ?

Je pense à un gros choix qu’on a fait collectivement mais enfin que j’ai quand même aussi impulsé : la naissance du festival LES 1001 SPIRALES… ce n’est pas rien… c’était passer à autre chose et là c’est pareil tu es à l’écoute de ce qui se passe et ce qui se passe aujourd’hui, c’est qu’on n’est pas dans la même situation qu’il y a 5 ans car aujourd’hui il y a un désir de collectif. Et du coup on est passé à autre chose… accueillir le fait qu’on ne soit pas au même endroit, c’est accueillir le fait d’être responsable d’un festival dans lequel tu as passé des heures et des heures de boulot même pas comptées et que tu lâches et que basta ! Et tu lâches, et si tu fais le deuil tu lâches avec plaisir, oui c’est l’improvisation m’a invitée à faire ça mais je pense aussi j’ai toujours été dans ça, dans l’écoute de ce qui est possible aujourd’hui, qu’est-ce qui est là aujourd’hui dans la situation, dans mes désirs à moi mais aussi dans ce qui se passe autour de moi et donc du coup j’aurais envie de faire ça mais oui mais là non ça se passe pas comme ça… et je pense que l’impro m’a invitée à arrêter de lutter quelque part et lutter pour moi c’est quelque chose où tu ne lâches pas ton désir, tu as une envie ou tu ne lâches pas ce que tu as acquis, tu ne lâches pas parce qu’il y a un truc …

Muriel Guigou :

Prendre en compte ton désir et le vivre jusqu’au bout !

Fabienne Martin-Juchat :

Mais est-ce que cela n’est pas paradoxal par rapport à tout ce qui a été dit avant ?

Réalisé par Méryl Bougo

Isabelle Uski :

Ce n’est pas prendre en compte que mon désir justement ! C’est prendre en compte mon désir, ma capacité d’action et ce qui est ! Et du coup ça ne veut pas dire lâcher ton désir, ça veut pas dire lâcher prise, ça ne veut pas dire justement s’adapter et renoncer à ton désir. Une danse satisfaisante pour moi, ce n’est pas celle dans laquelle je sais par avance que j’y serais confortable parce que je n’aurais pas à lutter, à rencontrer des moments de grincements. Les grincements et la fluiditié, paradoxalement, dans l’improvisation, ils peuvent se donner en même temps.

Muriel Guigou :

Oui, de la fluidité, une forme de fluidité !

Isabelle Uski :

Il y a une forme de fluidité mais qui est, je ne sais pas comment dire, c’est un peu de la lutte quelque part, parce qu’il peut y avoir de la lutte dans de l’improvisation qui est intéressante et choisie, de la lutte…

Muriel Guigou :

Qui est vitale !

Isabelle Uski :

…Où tu sens que ça grince mais tu continues de jouer avec ça mais ce n’est pas une lutte douloureuse, en tous cas dans la vie il y a ça, je pense qu’avant j’étais quelqu’un qui luttait plus, il y avait des espèces de projections de ce qui pourrait être et tu te projettes là-dedans et tu te dis « tiens ça devrait être comme ça ». Je pense qu’on est très nombreux à agir ainsi, je ne suis pas la seule (rires) et je le fais encore souvent… mais je vais être plus sensible à ces endroits où il y a un moment où tu te dis « ce n’est pas ça qui se passe en fait, là en fait ce n’est pas intéressant d’aller dans cette voie-là parce que ce n’est pas qui se passe et ça me demande trop d’énergie pour le faire alors qu’il y a un autre endroit qui m’intéresse, autant y aller parce que celui-là a l’air d’être plus fluide » et du coup c’est ne pas être obnubilé par une possibilité… des fois tu commences à tracer un chemin et puis si tu fais pas attention tu continues tout droit alors qu’en fait il fallait tourner ! (rires) Voilà il faisait beau, pourquoi tu voulais te mettre sous la pluie !

Muriel Guigou :

Mais peut être que sur le chemin sur lequel tu partais là-bas il faisait encore plus beau !

Isabelle Uski :

Oui mais voilà en tous cas c’est là où tu es…On erre toujours un peu quand même !

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